Le Vent

Joude Bazzoun

Son regard était tourné vers la porte. Il se concentrait sur la peinture écaillée, sur la serrure rouillée pour tenter d’échapper au bruit infernal qui l’entourait. Mais les gestes brusques de son père attirèrent son oeil. Les cris revinrent. La rage avait empourpré le visage de ce dernier et un fil de salive se formait à chaque fois qu’il ouvrait sa bouche pour occuper l’air de sa voix écrasante. Le garçon se remit à fixer la porte mais ce n’était plus suffisant pour assourdir les hurlements. Il se leva rapidement et sortit en claquant la porte. Etourdi, il dut reprendre son souffle. Il s’adossa contre la porte. La poignée lui rentrait dans le dos, il grimaça. Cela allait faire bientôt une semaine que son père l’avait poussé contre le placard mais vraisemblablement la douleur se faisait encore sentir. Dans un de ses élans de colère, il l’avait secoué et avait tenu son visage fermement, écrasant ses joues entre ses gros doigts dont les bouts étaient plus rugueux que le côté vert d’une éponge. L’ongle de son majeur s’était enfoncé assez profondément dans sa peau pour  y laisser un creux en forme d’arc-de-cercle. « Une fossette temporaire » pensa-t-il amusé. Banaliser les coups et les claques de son père, les tourner au ridicule, un moyen pour lui de décrédibiliser ce personnage du grand méchant papa mâle.

Sa main moite glissa de la poignée à laquelle il était encore agrippé. Il leva la tête : le ciel était d’une blancheur aveuglante. L’herbe était terne, il était pâle et ses pas étaient lourds. Il s’arrêta brusquement et examina la maison des voisins. Il semblerait que ces derniers avaient adopté sa même méthode de banalisation des cris et des pleurs qu’ils devaient sans doute entendre; après tout ils habitaient des maisons jumelées. Dans leur cas, c’était un mécanisme de déni et non de défense. Ils se répétaient sûrement : « Il ne faut pas se mêler des affaires des autres ». Cette citation était devenue une sorte de maxime universelle valable pour toutes situations. « Quelle absurde règle morale » se dit-il.

Le vent frais jouait délicatement avec ses boucles brunes. « N’était-ce pas plutôt le rôle de parents de caresser gentiment la tête de leur enfant ainsi quand le sommeil ne leur vient pas? » songea-t-il avec amertume. Il glissa une mèche de cheveux derrière son oreille et marcha.

Il se mit a courir aussi loin qu’il le pouvait de cette maison malheureuse. Des larmes chaudes commencèrent à couler le long de ses joues, sans vraies fossettes, et se séchaient rapidement contre l’air frais qui enlaçait son visage. Un mélange confus de sentiments accéléraient son rythme cardiaque. De plus en plus vite, de plus en plus vite, et il courait, et chaque battement était négligeable face à l’intensité du prochain. Une nervosité grandissante accompagnait les palpitations.

Une tempête naquit dans sa cage thoracique. Le vent soufflait sur son esprit et sifflait dans ses oreilles l’air de dire :

« Ne t’inquiètes pas mon garçon, un jour tu trouveras un endroit, un chez-toi duquel tu ne voudras pas fuir. Un espace où les meubles et les murs te raconteront des histoires de souvenirs joyeux. Les nuits ne t’effrayeront pas. Les portes ne claqueront pas. Les poings ne frapperont pas les tables d’un bruit sourd. Les escaliers ne craqueront pas sous le poids de pas alarmants. L’air n’empestera pas la bière et le mépris. Le piano n’émettra pas de son dissonant sous la charge d’un corps menacé. L’armoire ne servira pas de refuge. La vitrine ne sera pas brisée par des coups ayant manqué leur cible. L’atmosphère ne sera pas étouffante.»

Un sourire timide s’imprima sur son visage, il remercia le vent et reprit sa route. La peur du domicile n’avait pas encore été vaincue mais un espoir fragile s’était maintenant installé dans son coeur.

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